Il est des hommes qui gagnent à être connus. Cyril Aouizerate en est assurément un. La part du gosse du Mirail, cité de Toulouse dans laquelle il a grandi, reste prépondérante en lui. Le fils de typographe se souvient de son enfance comme d'une époque bénie d'insouciance, avec ses cousins : « Mes souvenirs de 5 à 10 ans sont concrètement les meille
Il est des hommes qui gagnent à être connus. Cyril Aouizerate en est assurément un. La part du gosse du Mirail, cité de Toulouse dans laquelle il a grandi, reste prépondérante en lui. Le fils de typographe se souvient de son enfance comme d'une époque bénie d'insouciance, avec ses cousins : « Mes souvenirs de 5 à 10 ans sont concrètement les meilleurs moments de ma vie. » C'est qu'il voulait déjà exercer sa liberté !
Joffrey Verner pour Forwards - Mars 2015
À quatorze ans, on lui offre un livre de poche sur un marché : Pimp, d'Iceberg Slim. Comprenant qu'on peut écrire comme on parle dans la rue, il se plonge dans les classiques, de Céline à Drieu La Rochelle. « C'est par cette liberté littéraire que j'ai trouvé la liberté », clame-t-il. Il poussera l'amour des idées jusqu’à faire une thèse originale sur la notion d'idolâtrie dans la pensée de Spinoza, avant de passer un an à Jérusalem pour étudier des textes avec le grand spécialiste de Maïmonide, le professeur Yeshayahou Leibowitz. Il publie la première bio de Bousquet, et pose sa plume.
Cyril a eu le temps de s'éprendre du « plus grand mouvement culturel du siècle dernier » : le hip-hop. Présent partout dans le monde, dans la peinture, la poésie, la musique ou la danse, « le hip-hop ne doit pas demander à être reconnu », pense celui qui arpente encore les fêtes de quartier à New York, mais doit dire aux jeunes d'aligner des arguments et d'exiger des politiques les meilleures écoles, du boulot et la fin des apartheids. « Les héritiers et les parvenus n'ont pas peur d'une jeunesse qui ne sait pas parler ! », prévient-il.
Après avoir appris les ficelles du montage de projets urbains avec Alain Taravella, celui pour qui la ville est une culture et une aventure a l'idée des Mama Shelter en 2001. Dès l'ouverture 109 rue de Bagnolet en 2008, le succès fait le tour du monde en un temps record. Mos Def et DeLaSoul viennent passer un mois à l'hôtel à l'ouverture. Ils voient leur ami métamorphosé. Cyril Aouizerate sait désormais que l'hospitalité est la mission de sa vie, et n'aura de cesse que d'en pousser le sens.
Il aime la France, mais la détresse philosophique et psychologique dans laquelle elle est plongée le déprime. « Notre sentiment d'être heureux ne passe pas par le système capitaliste et le règne de la consommation. » Il méprise le désir politique lorsqu'il n'est que « désir de réduire la liberté des autres par le subterfuge de la démocratie ». Il regrette la dualité du monde bipolaire, à l'heure où les citoyens ne peuvent plus se positionner. Ce qu'il a fait, très tôt dans sa vie, à la gauche de la gauche. « Mon père était stalinien, alors j'étais devenu trotskiste pour l'emmerder. », se rappelle-t-il.
Le coussin au dos wax que l'on trouve au MOB Hotel de Saint-Ouen.
Il observe les politiques de l'après-68 désincarner les mythologies dont les gens ont besoin, préparer le tout-fric. « La seule possibilité, c'était l'individualisme, la jouissance, mélange de cul et de pognon. Mais on ne peut pas construire une société sur le tout-jouissif. »Humble, il avoue sa fragilité, ses doutes et se plonge dans la spiritualité : il étudie encore des textes du Talmud pour se rassurer. Et s'il habite une bonne partie de l'année sur Atlantic Avenue, à Brooklyn, l'ancien étudiant boursier paie toujours ses impôts en France et réinvestit tous ses gains dans ses nouveaux projets.
Pour lui, le plus beau métier, « c'est de donner un lit ou un couvert ». La question de « l’hôte », celui qui accueille et celui qui est accueilli, le fascine. Son obsession : revenir aux sources des métiers de l'hospitalité, rendre concrète la pensée d'un Edmond Jabès. Ses vacances : des expéditions à l'autre bout du monde avec son ami Patrice Franceschi.
En 2008, celui qui méprise les partis écolos veut résoudre le problème du partage des ressources. Il arrête de manger des matières animales, « sans être chiant ou dogmatique » et a l'idée d'un restaurant vegan qui décloisonnerait et dépoussiérerait l'image du resto végétarien. Le premier MOB (Maïmonide of Brooklyn) ouvre à New York en 2011, avec comme premier client Afrika Bambaata. Grâce à la revente de ses parts de Mama Shelter et à la rencontre de son nouvel associé, Michel Reybier, il a les moyens de développer partout dans le monde sa chaîne de « monastères laïcs », ses « Républiques rêvées », des « micro-États » avec librairies de poche, cinémas, potagers, jardins ouvriers... Le premier sera inauguré en 2016 aux Puces de Saint-Ouen, avant New York et Los Angeles.
Il conserve la même obsession que dans sa prime enfance : ne rien s'interdire. Grâce à ses parents qui l'ont « dépsychotisé », à son envie de réconcilier la pensée et l'action, de créer des lieux et des mythologies qui répondent à ses angoisses d'homme, ce père de quatre enfants qui conchie l'héritage arrive enfin à un « sentiment de satisfaction ».
Dans sa nouvelle création, à Saint-Ouen toujours, le MOB House, Cyril Aouizerate traîne toujours sa bonhommie, son sens du sacré et son regard désarmant de philosophe.